Plan d’économies du CNC : Les documentaires menacés
Un plan d’économies violent et destructeur
Le CNC a annoncé aux producteurs audiovisuels un plan d’économies du fonds de soutien à l’audiovisuel de 30 M€ sur deux ans (15 M€ en 2019 et 15 M€ en 2020), soit une diminution des aides de 11% (soutien 2017 : 274,8 M€).
Ce plan d’économies est violent et destructeur pour le secteur audiovisuel dans son ensemble.
Un plan d’économies sans concertation et sans transparence.
Au regard de l’ampleur des économies souhaitées par le CNC, les syndicats de producteurs avaient réclamé des discussions multilatérales, basées sur la transparence. Le CNC n’en a eu cure et a discuté avec qui il a voulu de manière bilatérale.
Ce manque de transparence du CNC est particulièrement dommageable pour le secteur et fort surprenant de la part d’un établissement public.
On retrouve ce manque de transparence dans le fait qu’aucun chiffrage des différentes mesures proposées n’a été présenté aux syndicats de producteurs.
Un plan d’économies dont les conséquences affectent particulièrement le documentaire.
Le documentaire a déjà fait l’objet de deux réformes en trois ans (2014 et 2017 à la suite de l’annulation partielle de la réforme par le Conseil d’Etat en novembre 2016), au terme desquelles les aides ont diminué à ce jour de 15 M€.
Parmi les mesures d’économies présentées, plusieurs affectent encore le documentaire :
La première vise à exclure les documentaires qui « relèvent du reportage et du magazine de l’accès à l’automatique ». La formule, on s’en souvient, avait été censurée par le Conseil d’Etat dans la décision de novembre 2016 à la suite du recours formé par le SATEV contre la première réforme du documentaire en 2014. Malgré l’arrêt du Conseil d’Etat, le CNC continue de pratiquer cette discrimination à l’égard de ces œuvres documentaires, avec une totale impunité.
A cet égard, le CNC vient de décider d’exclure du bénéfice de tout soutien financier plusieurs séries documentaires qui honorent le service public et sont prisées du public, parmi lesquelles :
- J’irai dormi chez vous
- Faîtes entrer l’accusé
- Dans les yeux d’Olivier
- Rendez-vous en terre inconnue
- Nus et Culottés
- Les pouvoirs extraordinaires du corps humain
Ces séries documentaires et d’autres étaient déjà aidées au minimum du fait de la règle de dégressivité ; les voilà condamnées, car les chaines ne pourront pas compenser l’apport du CNC.
Ce faisant, le CNC s’est érigé en juge du documentaire de création et donc en censeur. Sa politique, même s’il s’en défend, l’entraine de facto à s’immiscer dans la politique éditoriale des chaînes.
Est-ce là son rôle ? Quelle est sa légitimité ?
Le risque de détruire le tissu industriel et de précariser l’emploi dans le secteur documentaire.
Parmi les autres mesures, le CNC préconise l’augmentation du seuil d’accès à l’automatique.
Le fait de favoriser le sélectif est un frein à l’industrialisation de la production : cela fragilisera les sociétés de production en régions et donc le maillage sur tout le territoire national.
Par ailleurs, les structures aux coûts fixes importants seront pénalisées avec des conséquences directes sur l’emploi, en raison de l’imprévisibilité financière engendrée par le système sélectif puisque le producteur ne saura pas, au moment de la production de son documentaire, s’il aura une subvention. Et s’il l’obtient, il ne connaîtra pas son montant en amont. Situation absurde et dangereuse car le producteur est obligé de s’engager auprès de tous les partenaires sur une garantie de bonne fin, sans connaître le budget dont il disposera.
Sur ce dernier point, les plus touchées seront les agences de presse audiovisuelles qui ont de nombreux salariés en CDI.
En outre, comment passer le dossier d’un documentaire d’investigation au sélectif, alors qu’il est impossible d’une part d’écrire une enquête dont on ne connaît pas l’issue, et d’autre part de divulguer les pistes et les sources ? C’est encore une fois une aberration et une discrimination vis-à-vis des documentaires d’information et d’investigation.
Aussi, les films produits par les agences de presse tomberont sous les fourches caudines du CNC. Une fourche à quatre dents :
- Contre ceux qui relèvent du « reportage ou magazine »
- Contre les séries documentaires à succès
- Contre le journalisme d’enquête et d’investigation
- A travers le seuil d’accès à l’automatique.
A l’heure des fake news, quel impact sur l’information et les documentaires d’investigation ? Ces mesures sont un très mauvais signal, alors que l’éducation aux médias est une priorité du ministère de la Culture...
Christian Gerin, président